Légalité et burkini : remettre les choses à leur place.
Les vacances estivales ont été marquées par l’envahissante polémique sur le Burkini. La conclusion de l’affaire semblait donnée lorsque, le 26 août, le Conseil d’Etat, saisi par la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), invalidait l’arrêté « anti-burkini » de Villeneuve-Loubet. Il s’agissait là d’une décision ayant vocation à faire jurisprudence dans le cas des autres arrêtés municipaux appliqués jusque-là dans une trentaine de communes françaises. La polémique aurait alors pu s’essouffler, mais c’était sans compter la velléité de certain.es représentant.es politiques de maintenir leur position sur le sujet :
De plus, de nombreux.ses maires ont exprimé leur souhait de maintenir l’arrêté dans leur commune, souhait qui a même été entériné par le tribunal administratif de Bastia, en Corse :
#Sisco le Tribunal administratif de #Bastia maintient l’arrêté anti-burkini d’A-P Vivoni , rejette recours @LDH_Fr pic.twitter.com/DTW8WInnur
— France 3 Corse (@FTViaStella) 6 septembre 2016
La question ne semble donc pas réglée, et il apparaît d’autant plus important d’y réfléchir sérieusement qu’elle véhicule des enjeux bien plus larges que le simple port d’une certaine tenue de bain sur la plage. Alors que les politiques se déchirent autour de la notion de laïcité, notion mobilisée pour défendre des positions parfois strictement opposées, n’est-il pas essentiel de revenir sur le texte même de la loi de 1905 afin d’y retrouver les principes qui faisaient la force de cette valeur ? Nous proposons pour cela l’analyse de Yann Moix donnée dans l’émission On n’est pas couchés du 27 août 2016. Il mobilise ce texte de loi afin de montrer qu’il est possible d’y trouver des réponses ayant une résonnance toute particulière avec l’affaire qui nous occupe :
L’article 2 de la loi de 1905 se présente sous la forme suivante :
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
Mais c’est surtout dans la suite de la délibération sur le projet de loi que le texte permet un rapprochement qui éclaire la polémique actuelle :
Il a paru à la commission que ce serait encourir, pour un résultat problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule, que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, imposer aux ministres des cultes l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements. […] La soutane devient, dès le lendemain de la séparation, un vêtement comme un autre, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non. C’est la seule solution qui nous ait paru conforme au principe même de la séparation, et c’est celle que je prie la Chambre de vouloir bien adopter.
Ne serait-il pas bon que certain.es de nos représentant.es prennent le temps, elles et eux aussi, de relire les textes avant de se déclarer hérauts de la laïcité ?
Sur un sujet aussi brûlant, peut-être conviendrait-il, avant tout, d’éviter les généralisations hâtives. Vouloir faire à tout prix du burkini un vêtement trahissant une provocation religieuse, voire intégriste, est contraire aux intentions-mêmes de sa créatrice. Aheda Zanetti témoigne dans The Guardian : sa démarche est née de la volonté de permettre à sa nièce de jouer au netball avec une tenue adaptée, pratique pour la plage et en accord avec les exigences d’une jeune fille musulmane. Il s’agissait donc avant tout d’un outil de libération pour les femmes qui souhaitent trouver un compromis entre pudeur et maillot de bain.
C’est juste un vêtement pour une personne qui souhaite être modeste, ou pour quelqu’un qui souffre d’un cancer de la peau, ou pour une nouvelle maman qui ne veux pas porter un bikini : cela ne symbolise pas l’Islam.
On pourra reprocher aux partisan.es du burkini d’être angéliques et de ne pas voir qu’il est, en fait le signe d’une visibilisation et d’une radicalisation des pratiques islamistes en France. Dans les faits, de nombreux.ses intellectuel.les proposent des analyses fines de ce problème et se penchent sur la question sans faux-semblant. On peut citer – entre autres – le travail de Nahida Nakad, notamment son livre Derrière le voile, qui expose les points de vue antagonistes des défenseurs et des adversaires du voile islamique.
Il y a des lieux où les femmes sont réellement réprimées – qu’elles soient voilées ou non. Leur défense est urgente et vitale, notamment là où ont eu lieu les révolutions arabes. Mais ceux qui concentrent leur bataille sur le seul voile oublient que des femmes voilées se revendiquent aujourd’hui du féminisme ! En d’autres termes, si une musulmane voilée n’est pas toujours soumise et peut jouir d’une liberté de pensée, d’autres qui ne le portent pas peuvent en être privées.
Néanmoins, la question des rapports entre islamisme et laïcité, certes importante et nécessaire, n’a assurément pas été posée avec discernement dans le cas des arrêtés anti-burkini. Si l’enjeu est d’endiguer des dynamiques de radicalisation et de communautarisme, il semble paradoxal de refuser aux femmes souhaitant porter ce vêtement l’accès à la plage. A force de restreindre de cette manière les libertés des femmes musulmanes, ne risque-t-on pas de contraindre un ensemble de la population à un cloisonnement bien plus propice à la radicalisation qu’une après-midi au soleil ? Pis encore, ces arrêtés ont été repris comme arguments dans la propagande de Daesh. La polémique a, en effet, eu pour conséquence la confirmation du discours tenu depuis des années par les partisan.es de l’Etat islamique : « Il est impossible à un.e musulman.e d’être un.e bon.ne musulman.e en France. » Ces arrêtés n’ont fait qu’apporter de l’eau à leur moulin.
Enfin, et pour clore ici notre rapide examen, il apparaît qu’en pratique, ce genre de décision se révèle très vite inapplicable. C’est d’ailleurs la position du maire d’Antibes (LR), Jean Leonetti, pour qui ces arrêtés sont « faciles à prendre, mais très difficiles à mettre en œuvre ». Un article du journal Le Parisien rapportait ses propos :
Aujourd’hui, qu’est-ce que c’est qu’un burkini ? Est-ce qu’on peut avoir quelque chose sur la tête ou pas, est-ce qu’on peut rester sur la plage en étant habillé ?… On n’arrive pas à définir exactement ce qui est de la provocation.
[…]
Le caractère ostentatoire [d’une tenue] c’est une appréciation relativement floue. Quand est-ce que c’est ostentatoire et troublant l’ordre public et quand est-ce que ça ne l’est pas.
Le problème d’une définition claire se pose également dans le cas de ce qu’on désigne comme « espace public » :
Si le trouble à l’ordre public existe sur la plage, une tenue similaire qui couvre le corps de la femme n’est-il pas aussi trouble à l’ordre public sur le bitume, ou dans les magasins ?
Ces flottements définitionnels ont d’ailleurs conduit – comme on pouvait s’y attendre – à des dérives anti-musulmanes, qui viennent encore renforcer le climat tendu en France, et dégrader les conditions de vie des musulman.es qui pâtissent de cette libération de la parole raciste. Face à la multiplication des agressions, on peut saluer l’initiative de la dessinatrice Maeril qui propose, en BD, des solutions pour bien réagir lorsque l’on est témoin de ce genre d’altercation :