La prétendue laïcité du menu unique cache un ostracisme scandaleux.

Avec la rentrée scolaire, chaque parent se retrouve confronté à son lot de soucis d’organisation et de gestion des emplois du temps des enfants. Pour les parents de jeunes enfants, la cantine représente souvent un service et un soutien bienvenus dans la mise en place d’une routine bien huilée. Plus encore, pour certaines familles ayant un faible revenu, il s’agit également d’un moyen de s’assurer que leur.s enfant.s auront accès à un vrai repas équilibré le midi. La restauration scolaire est donc un service essentiel pour certain.es, en plus d’être un moment de sociabilité au cours duquel tout.es les enfants se retrouvent pour partager nourriture et anecdotes. Depuis longtemps, cette convivialité était rendue possible par l’existence de différents repas adaptables en fonction des maladies, allergies, préférences et convictions de chacun.e.

Pourtant, avec la rentrée, nous avons vu affluer un certain nombre de témoignages de parents atterrés face à la diminution, à échelle nationale, des propositions de repas de substitution dans les cantines scolaires. On se souvient des multiples scandales qui ont éclatés à ce sujet depuis 2014. Il s’agissait, une fois de plus, de mobiliser à tort et à travers la notion de laïcité afin de porter un message aux relents d’islamophobie. Marine Le Pen s’exprimait sur le sujet au micro de RTL en avril 2014 :

Concrètement, nous n’accepterons aucune exigence religieuse dans les menus des écoles. Il n’y a aucune raison pour que le religieux entre dans la sphère publique.

Il s’agissait même de :

Sauver la laïcité qui est en très grave difficulté.

A la suite de cette fausse polémique, de nombreuses communes ont alors décidé de supprimer les menus de substitutions dans leurs cantines : Lagny-le-Sec (Oise), Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), Wissous (Essonne) ou encore Chilly-Mazarin (Essonne), etc. Ces choix sont d’autant plus étonnants que les menus  de substitution avaient souvent été mis en place depuis les années 1960 dans de nombreuses communes, sans que cela ne pose de problème particulier. Il est alors tentant de faire le lien entre ces décisions parées de l’auréole de la laïcité et le climat de stigmatisation rampante des musulman.es  qui se développe ces dernières années en France.

Si cette controverse semble aujourd’hui retombée, certains parents d’enfants musulman.es en font encore les frais. Nous vous en parlions déjà dans un article précédent, mais il semble important de faire le point plus sérieusement alors que les témoignages se multiplient. C’est ainsi que nous avons été contacté.es par une maman dont les deux enfants sont scolarisé.es à Tassin la Demi-Lune. Certes, en primaire, le fonctionnement par self-service rend aisé pour les élèves de choisir ce qu’ils ou elles déjeuneront. Mais en maternelle, les responsables de la restauration ont jugé que c’était aux enfants concerné.es de préciser s’ils ou elles souhaitaient ou non manger de la viande. On comprend aisément combien il est insidieux de faire peser sur les épaules d’un.e petit.e de 3 ou 4 ans la responsabilité de choisir son menu. La mère qui nous a contacté était d’autant plus scandalisée qu’aucune communication n’avait été faite en amont à ce sujet. Alors que l’année précédente, il était possible de préciser les restrictions alimentaires de ses enfants lors de l’inscription à la cantine, cette année, l’absence de menu de substitution n’a pas été clairement notifiée aux parents. Cette modification intervient avec le changement de prestataire en charge de la restauration, changement décidé par le maire de la ville, Pascal Charmot. Il invoque le principe de laïcité en plus de l’argument économique pour justifier son choix. Le règlement intérieur stipule que :

Les repas font l’objet d’un menu unique. Afin que les familles puissent s’organiser en amont, les menus leur sont communiqués en amont (sic), par période. […] Hors PAI [Programme d’Accueil Individualisé mis en place en cas d’allergies], aucun régime alimentaire ne sera pris en compte.

En clair, c’est aux parents qui ne souhaitent pas que leur.s enfant.s mangent de viande de s’organiser à l’avance pour tous les déjeuners où ce ne sera pas possible à la cantine. Une situation similaire – si ce n’est pire – nous a été rapportée par une mère de Pont-de-Chéruy. Alors qu’elle vennait de s’installer dans la commune et que ses enfants faisaient leur rentrée, elle a dû aller récupérer l’un de ses garçons de 6 ans, en larmes, un après-midi, après qu’il a été forcé de manger de la viande à midi. On l’avait menacé de punition s’il refusait de finir son assiette. Difficile de garder son calme face à ce qui ressemble fort à un déni de la dignité de la personne. Dans ces cas là, l’argument de la laïcité ne vient-il pas cacher en fait une volonté d’exclure une certaine tranche de la population, et de valoriser, au lieu d’un vivre-ensemble, une certaine conception inflexible du vivre-à-la-française ? Le choix du menu unique a en effet pour conséquence immédiate de stigmatiser les personnes de confession musulmane. On pourrait retrouver là la logique prônée par Nicolas Sarkozy qui, lors du 20h de TF1 le 17 mars 2015, s’était fendu d’une déclaration pleine de bienveillance :
Si vous voulez que vos enfants aient des habitudes alimentaires confessionnelles, vous allez dans l’enseignement privé confessionnel.
On pense aussi à la lettre du Maire de Chalon-sur-Saône du 10 mars 2015 aux parents d’élèves, qui expliquait les raisons de la suppression du plat de substitution :
En aucun cas, il n’est possible, au regard du principe républicain de Laïcité, de proposer des repas différenciés en fonction de considérations religieuses.
Cette déclaration mérite qu’on s’y arrête. L’argument qui voudrait assimiler la demande d’un repas de substitution avec une requête intrinsèquement liée à un fondamentalisme religieux semble en réalité rapidement fallacieux. Dans les faits, les parents qui sont venus témoigner dans nos locaux exprimaient moins une quelconque exigence d’adaptation que la simple possibilité de ne pas manger de viande. Les mères ne souhaitaient pas nécessairement qu’un autre repas soit proposé, mais seulement qu’on ôte la viande des assiettes de leur enfant. De plus, on a vite fait de rapprocher le menu de substitution et le menu sans porc alors qu’il ne concerne pas uniquement les enfants de confessions musulmanes. En effet, dans le cas de Tassin, le mouvement d’opposition « Mieux vivre à Tassin » soulignait que le menu unique entravait l’accès à la restauration pour 20% des élèves, que ce soit pour des raisons religieuses, de santé, ou de conviction (végétarisme).
Dans cette perspective, il est possible de repenser la question du menu de substitution à nouveaux frais : comment maintenir un environnement laïc tout en respectant les différences de chacun.e ? La proposition d’Yves Jégo, député UDI, semble, à ce titre, plutôt pertinente. Il fut, en 2015, l’auteur d’une proposition de loi pour instaurer une alternative végétarienne dans les cantines scolaires, afin, précisément, d’apaiser les tensions autour de la composition des menus. Dans une interview donnée au Point le 8 octobre 2015, il déclarait :

On ne veut plus que les enfants soient contraints de manger de la viande ou du poisson, s’ils ne le souhaitent pas. Il est du reste plus sain pour un enfant de se nourrir d’un plat végétarien élaboré par des chefs et des diététiciens pour subvenir à ses apports journaliers que de le laisser pousser sa viande hors de son assiette. Il est de notre devoir de veiller à ce que les menus répondent aux besoins nutritionnels de tous les enfants, y compris ceux qui pour des raisons diverses et variées ne consomment pas de chairs animales.

Il y a également une volonté d’apaiser le débat autour de l’alimentation. En imposant une alternative végétarienne, on respecte les préférences et convictions religieuses de chacun, sans céder à un débat politicien. C’est une solution laïque. On ne veut surtout pas faire entrer les conflits politiques dans les cantines.

Si l’enjeu est donc vraiment celui de la laïcité, il semble urgent de réfléchir ensemble à d’autres solutions que celle qui consiste à forcer un enfant de 4 ans à manger de la viande.