Retour sur le Mardi de l’Egalité #19 : la question de l’accueil des migrant.es

La question des migrant.es véhicule tout un ensemble de représentations qui influencent la manière dont cette question est reçue, perçue, traitée, que ce soit socialement, médiatiquement ou politiquement. Il semble donc que, dans l’optique d’avoir une approche la plus juste possible de cette question, il est important de mettre au jour les dynamiques à l’origine de cet imaginaire, afin d’y discerner les fondements légitimes des fantasmes délétères.

En premier lieu, il est intéressant de se pencher sur le lexique utilisé, qui vient discriminer des catégories de migrant.es selon leur degré de légitimité. On entend en effet souvent parler de « réfugié.es politiques » en opposition avec les « migrant.es économiques ». Un article des Décodeurs du Monde, revient sur ce débat sémantique. Juridiquement, la notion de « réfugié.e » est définie dans la convention de Genève du 28 juillet 1951 :

Le terme réfugié s’appliquera à toute personne (…) qui, craignant d’être persécutée du fait de sa race [son origine], de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
Certains pays sont reconnus internationalement comme étant en proie à des guerres civiles, ce qui procure de fait le statut de réfugié.e aux migrant.es qui arrivent depuis de tels pays. Cependant, il est possible de se questionner sur la légitimité de la liste des pays concernés. Les critères de décisions sont ici nécessairement intimement liés aux enjeux géopolitiques et internationaux des pays d’accueil.

L’autre catégorie est celle des « migrant.es économiques », qui se subissent souvent les accusations portées par les politiques voulant incarner une politique migratoire stricte. Là où les réfugié.es politiques bénéficient d’une certaine bienveillance – ou du moins tolérance – les migrant.es économiques font les frais de nombreuses stigmatisations découlant de préjugés véhiculés notamment par les discours d’extrême-droite.

Accusé.es  à la fois d’être des assisté.es, de voler le travail des « Français.es de souche » en temps de crise, de vouloir coloniser la France et changer son Identité, d’être, en somme à l’origine de tous nos maux. En fait, la figure du/ de la migrant.es semble être agitée comme un épouvantail, à la fois pour justifier le durcissement de politiques sécuritaires et de repli sur soi, tout en évitant du même coup de se questionner sur les causes réelles des insuffisances de notre organisation sociétale actuelle. (Par exemple, ce n’est pas en fermant nos frontières que nous allons régler le problème de la précarisation de plus en plus grande d’une certaine partie de la population.)

 

Le/la migrant.e cristallise donc de nombreuses peurs et crispations identitaires. Pourtant, si l’on regarde les chiffres, la réalité est loin d’être si simple. De nombreux économistes et sociologues se sont penchés sur la question et offrent un constat largement positif, loin des stéréotypes et raccourcis que l’on entend souvent. Entre juin 2010 et mars 2011, une trentaine de personnalités – des économistes, des juristes, des historiens, des sociologues, des acteurs associatifs, des syndicalistes, des responsables patronaux, des hauts fonctionnaires et des représentants d’organismes internationaux – ont été auditionnées sur les questions d’immigration par l’association Cette France-là et des parlementaires. Mediapart a pu tirer de cet événement une analyse mettant à bas l’ensemble des contrevérités sur le sujet. Comme l’article n’est accessible que pour les abonné.es, nous vous en retranscrivons ici quelques passages frappants :

Pour le collectif Cette France-là, créé en 2007 par des universitaires, des journalistes et des militants associatifs, «l’immigration est un faux problème, à la fois mal informé et mal posé: ses prémisses ne résistent pas à l’analyse. Nos gouvernants le reconnaissent d’ailleurs implicitement, en déplaçant sans cesse la question pour la relancer – de l’immigration irrégulière à l’immigration dite “subie”, et aujourd’hui à l’immigration légale, en même temps qu’aux Français naturalisés, voire d’origine étrangère».

Également interrogé, Joël Oudinet partage la même analyse. «Les études, dit-il, montrent que le solde est plutôt positif: ils dépensent en moyenne plus en impôts qu’ils ne bénéficient d’aides sociales. L’impact est d’autant plus positif que les migrants sont qualifiés.»

En tenant compte des perspectives démographiques, et notamment du vieillissement de la population, Lionel Ragot va plus loin. Sans les immigrés, il sera plus difficile de payer les retraites et de financer la branche maladie. «Nos résultats sont sans ambiguïté, insiste-t-il. Si on compare avec immigration et sans immigration, on voit bien que l’immigration a un apport au financement de la protection sociale puisque sans immigration, en 2050 ce n’est pas 3% du PIB en plus qu’il faut trouver pour financer la protection sociale, c’est quelque chose de l’ordre de 4,3%. Ça montre bien que l’immigration réduit le fardeau fiscal lié au phénomène du vieillissement démographique.»

Les études sont nombreuses, et pourtant, on peine à entendre ce son de cloche dans les médias. Comment expliquer que les mêmes poncifs perdurent à travers les ans ? Les migrant.es continuent d’être, notamment durant les périodes de campagnes présidentielles, présenté.es comme un problème, une difficulté majeure à affronter, alors même que cette conception biaisée est unanimement remise en cause par les travaux scientifiques.

C’est probablement parce que le vrai problème n’est pas celui brandi comme un étendard – on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, il faut d’abord s’occuper des pauvres chez nous – mais celui d’un racisme ou d’une xénophobie systémique. Les débats sur le sujet sont avant tout dominés par les croyances, les idéologies, qui font de l’étranger.ère un.e intrus.e venant menacer l’équilibre social du pays. Pour Claire Rodier, juriste au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), auteure de Migrants & réfugiés, Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents (La Découverte, 2016), la déconstruction des préjugés est une tâche lente et ingrate car elle suppose un long travail de fond, peinant à trouver de l’écho au sein du rythme effréné des débats d’idées des campagnes politiques :

C’est ardu, et moins percutant qu’un discours démagogique soutenant que les étrangers représentent un danger pour la République.

Cet imaginaire se nourrit de divers fantasmes qui produisent un portrait artificiel et figé loin de la réalité. Pourtant, ce n’est, bien souvent, pas la « misère du monde » qui arrive à nos frontières. L’émigration, en particulier du Nord vers le Sud, est coûteuse. Les immigré.es ne sont donc pas les plus pauvres des pays d’origine, au contraire. Et de manière corrélée, ils et elles sont également souvent diplômé.es. Selon les chiffres de l’Insee, 63 % des immigré.es entré.es en France en 2012 sont au moins titulaires d’un diplôme de niveau baccalauréat ou équivalent et un quart est sans diplôme.

Demeure alors la peur viscérale de faire entrer chez soi un.e inconnu.e qui ne partage pas nos valeurs, qui serait trop différent.e. Derrière le terme – ambigu et controversé – d’assimilation, on entend souvent l’idée que les immigré.es doivent se fondre dans l’identité de leur pays d’accueil, et donc abandonner leurs habitudes d’origine. Or, cela serait impossible pour le profil d’immigré.es majoritaire aujourd’hui (comprendre : les musulman.es / les arabes). Au-delà de la question de la légitimité douteuse d’un tel modèle unique d’assimilation, il s’agit là surtout d’une vieille rhétorique qui ressort en temps de crise économique et sociale, quand les inégalités se creusent et les gouvernant.es sont impuissant.es à répondre à la peur de la pauvreté ou du déclassement éprouvée par les classes populaires. On ressort alors le fantasme de l’immigré.e comme le spectre terrifiant permettant de focaliser l’attention sur Autrui, d’en faire un.e ennemi.e clairement identifiable. C’est d’ailleurs le constat que dresse l’historien Gérard Noiriel :

Dès les années 1880, les Italiens travaillant en France se voient reprocher leur supposé défaut d’«assimilation». Dans Immigration, antisémitisme et racisme en France, l’historien décrit comment la rhétorique des années 1930 joue de l’opposition entre les «bons» immigrés d’avant et leurs successeurs considérés comme peu ou difficilement intégrables. Les travaux scientifiques invalident ces préjugés: en analysant des critères comme l’acquisition de la langue, la fréquence des unions mixtes et la mobilité socio-économique, ils démontrent que l’insertion des migrants dans la société française s’effectue à peu près au même rythme d’une génération à l’autre. Jean-Pierre Garson, économiste à l’OCDE, le confirme: «La promotion des immigrés est une réalité souvent cachée, invisible, alors qu’elle se vérifie dans les chiffres.»

Finalement, ne faudrait-il pas simplement sortir de cette vision binaire mettant en regard l’identité française assiégée par des identités fondamentalement autres ? L' »identité française » telle qu’elle est présentée n’existe tout simplement pas. La population française est modelée de diversité, et la nation s’est construite notamment sur des dynamiques d’immigration. C’est ce qu’a rappelé François Hollande lors de l’inauguration du musée national de l’histoire de l’immigration, en décembre 2014.

 

L’Histoire ne nous permet pas de déterminer que nous sommes Gaulois, ou Catholiques, ou Blancs, par essence… Ce que l’Histoire nous apprend, c’est surtout que la France est le plus vieux pays d’immigration d’Europe et que nous devons embrasser cette richesse qui a fait de nous ce que nous sommes.

 

Les Français ne doivent jamais oublier que la France est le résultat de ces cultures venues d’ailleurs pour écrire l’Histoire de France et contribuer, toujours, à rendre la France plus forte. Apprendre et comprendre l’histoire de l’immigration, c’est comprendre ce qu’est la Nation, ce qu’est être Français. L’oublier, c’est oublier notre Histoire et ce qui fait notre grandeur à l’égard du monde.

Alors concrètement, que faire pour que les mentalités évoluent ? Que faire pour que la question de l’immigration cesse d’être un repoussoir et reprenne sa place au cœur des enjeux valorisés et bénéfiques dans la construction de l’organisation politique du pays ? L’enjeu du débat c’est aussi le constat que la question de la défense des immigré.es mobilise pour l’instant une minorité de gens (associations, organisations locales, individus isolés, etc.). Il existe des mobilisations pour la scolarisation des enfants sans papiers (notamment par le biais du Réseau Éducation Sans Frontières), certes fructueuse mais ayant peu de répercussion sur la scène médiatique. La Gauche se tient en repli sur ces questions, notamment de peur d’être taxée de complaisance, ou d’idéalisme. Tout se passe comme si nos responsables politiques se sentaient timides, voire honteux vis-à-vis de ce problème, et n’osaient pas l’aborder de peur de se retrouver en défaut par rapport à l’opinion publique. On a d’ailleurs pu constater une dégradation de la situation sous le gouvernement d’Hollande, qui a maintenu et augmenté expulsions, dans la droite lignée de son prédécesseur.

L’émotion soulevée par la mort d’Aylan et la gestion de la « jungle » de Calais a suscité un sursaut, une prise de conscience, qui nous laisse espérer qu’une mobilisation plus importante est possible. De plus, la question de la répartition des migrant.es sur le territoire, dont s’est saisie le FN – pour tenter, une fois de plus, de miser sur la haine de l’autre et le repli sur soi – a, en fait suscité d’importantes contre-manifestations. On a vu fleurir des groupes et réseaux de soutien de populations locales souhaitant se donner des moyens concrets pour l’accueil des migrant.es. A partir de là, il est nécessaire que nous nous demandions comment utiliser ce mouvement de société, et faire le pari que demain nous serons en mesure de dire aux responsables politiques que cette question peut être posée sur la scène politique et trouver du soutien chez les électeur.trices.

Il nous semble important de diffuser des informations concrètes, de rendre visibles et tangibles les parcours de vie des migrant.es pour défaire le tissu de fantasmes qui s’est solidifié autour de la question. A ce titre, Agir pour l’Egalité appuie les nombreuses actions de la CIMADE, qui a notamment publié en octobre dernier la troisième édition de son Petit guide – Lutter contre les préjugés sur les migrants. On vous recommande également chaudement l’ensemble de leurs courts-métrages disponibles à l’adresse suivante :

http://www.lacimade.org/nos-actions/sensibilisation/

A tous moment, il faut se rappeler que derrière le (gros) mot « migrant.es », se trouvent en fait des personnes, des parcours, des vies auxquelles nous refusons que soit ôtée leur dignité.