Retour sur le mardi de l’Egalité #16 : racisme médiatique, inconscient ou délibéré ?
Mardi 20 septembre, à partir de 19h, s’est tenu, au local d’Agir pour l’Egalité, le débat mensuel des Mardis de l’Egalité avec une quinzaine de participant.es. Cette 16ème rencontre abordait le thème du racisme des médias et dans les médias, partant du constat d’une libération récente de la parole raciste. Cette idée de thème nous est notamment venue de l’affaire du Progrès : des journaux qui ne sont pourtant pas connus pour leurs opinions réactionnaires ou racistes, se mettent à faire paraître des articles au ton franchement douteux, quand il n’est pas tout simplement scandaleux. Nous proposons ici un compte-rendu de la discussion en trois moments :
1. LE CONSTAT D’UNE LIBÉRATION DE LA PAROLE RACISTE.
Le Médiacritique-s n°19 nous propose une analyse fine de cette tendance, dont nous reprenons ici les grands arguments. Nous conseillons par ailleurs chaudement la lecture de l’article intégral disponible ici :
http://www.acrimed.org/Racisme-s-mediatique-s-racisme-dans-les-medias
[…] la tendance générale est souvent la même : les médias, aujourd’hui aussi bien qu’il y a 50 et 100 ans, tendent à assimiler les étrangers, les immigrés, les réfugiés ou les minorités à un problème et s’y réfèrent par eux plutôt que comme une partie intégrante de nous.
Ce racisme sous-jacent, plus insidieux, fonctionne donc par le biais d’une figure de l’Autre stéréotypée, marginalisée. C’est un processus visible notamment dans le traitement des sujets d’actualité : à grands coups de faits divers sur la drogue, la criminalité, l’immigration, on constate une présentation systématique des immigré.es et des minorités comme différent.es, voire inassimilables :
Alors que leurs actions négatives tendent à être grossies par l’emploi de toutes les techniques peu rigoureuses de l’information, les nôtres tendent à être atténuées, cachées ou niées quand il s’agit de préjugés, de discrimination et de racisme. Et tandis que leurs contributions économiques et culturelles à la ville ou au pays sont passées sous silence, notre prétendue tolérance et les quelques bonnes actions que nous faisons pour eux sont mises en valeur.
De manière très actuelle et de plus en plus flagrante, on peut aussi penser au traitement de l’Islam par les médias, sujet abordé également dans un numéro de Médiacritique-s :
Le traitement médiatique de l’islam, à la différence de celui qui est réservé à d’autres religions, est trop souvent dominé, non par une étude raisonnée de l’islam, mais par la dénonciation de ceux qui le pratiquent. Affirmer ou laisser dire que les citoyens musulmans se définissent exclusivement par une religion que l’on condamne sans même informer sur elle, c’est les traiter comme des citoyens au rabais. Affirmer ou laisser dire que cette religion est, à la différence de toute autre, une anomalie, c’est affirmer (ou du moins laisser entendre) que cette religion met en péril une prétendue identité nationale. Et sous couvert de combattre les fanatismes qui se réclament de l’islam (« l’islamisme »), suggérer (le cas échéant en prenant des gants) que c’est la pratique de l’islam qui, intrinsèquement, est potentiellement fanatique, c’est jeter la suspicion sur des millions de croyants.
Tous et toutes auront également noté la multiplication d’apparition sur les plateaux de personnalités tenant ouvertement des propos racistes. On pense ici bien sûr à Eric Zemmour, mais aussi Philippe Tesson ou encore Yves Thréard. Cette médiatisation leur donne non seulement une tribune, mais leurs discours resteent en plus très souvent reçus tels quels sans que les journalistes ne jouent le moindre rôle de contradicteur.trice. C’est là un phénomène particulièrement dommageable car il participe de la banalisation et de la légitimation de la parole, et donc, a fortiori, des actes racistes. C’est en réponse à cela que la journaliste Nassira El Moaddem a alors écrit une « Lettre ouverte à l’attention de Monsieur Alain Weill, Président-directeur général de NextRadioTV et de Monsieur Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFMTV. »
Un débat signifie-t-il que les journalistes en plateau s’effacent au point de ne pas demander des précisions, des sources, aux invités, lorsqu’elles sont nécessaires ? Un débat signifie-t-il que l’on puisse laisser dire tout et n’importe quoi sous prétexte d’une confrontation d’idées ? Sous prétexte de la présence d’un contradicteur, peu importe son efficacité dans cet exercice, vos animateurs doivent-ils oublier qu’ils sont avant tout journaliste et qu’ils sont là pour rétablir les faits, questionner, demander des chiffres, des sources, lorsque des affirmations sont érigées en vérités absolues et dirigées vers une seule catégorie de personnes ?
Nous nous sommes alors interrogé.es sur les raisons à l’origine d’un tel état de fait.
2. QUELLES SONT LES CAUSES DE CE PHÉNOMÈNE ?
C’est une question que se sont notamment posés Jérôme Berthaut, Eric Darras et Sylvain Laurens dans leur article fouillé et précis intitulé : « Pourquoi les faits divers stigmatisent-ils ? ». Ils entament leur étude par la question suivante :
Pourquoi dès lors les journalistes publient-ils si souvent des sujets mettant en scène des (délinquants) « étrangers », « enfants d’étrangers » ou « d’origine immigrée » ?
Plusieurs pistes explicatives possibles à ce phénomène :
- Les intérêts économiques du journal : trouver chaque jour des bonnes histoires en fonction d’un certain lectorat.
Nul besoin donc de recourir au racisme journalistique pour comprendre que la maquette du journal impose sa propre logique : mécaniquement, tout ce qui quotidiennement se passe de « positif » dans les quartiers populaires (dont les habitants ne sont pas perçus comme des acheteurs potentiels et les lecteurs utiles) est relégué, au mieux, en milieu de cahier local, dans un espace rédactionnel déjà réduit. […] Il en va en revanche autrement de leur présence dans les faits-divers « plus lus et plus vus », et qui méritent ainsi d’intégrer les premières pages diffusées dans l’ensemble du département. […] Aussi, le fait que la page « faits-divers » ne soit pas destinée prioritairement aux lecteurs vivants dans les quartiers populaires, expose ceux-ci à leur stigmatisation et du coup à une ethnicisation des contenus.
- En plus de ces logiques économiques de diffusion, une autre cause de l’ethnicisation systématique des faits-divers est leur source primordiale : les policiers. En effet, les journalistes s’occupant de faits-divers récupèrent souvent sans les questionner les comptes-rendus des forces de l’ordre pour en faire un article.
[…] l’ethnicisation de l’insécurité civile est inscrite dans les statistiques du ministère de l’Intérieur présentées comme des chiffres ou des faits objectifs diffusés et considérés comme tels par les journalistes.
- Enfin, les journalistes cherchent parfois à passer du simple « fait divers » au « fait de société », opérant ainsi une généralisation souvent abusive ou infondée.
Nous sommes donc en présence d’un système qui s’auto-entretient dans une dynamique capitaliste d’offre et de la demande qui ne pousse ni les producteur (les médias) ni les consommateurs (les lecteurs), à changer leurs habitudes. Quelles sont alors les réponses possibles face à cela ?
3. QUE FAIRE ?
Nous nous sommes assez rapidement posé la question de la censure. Faut-il ou ne faut-il pas mener des actions de condamnations publiques lorsque nous sommes face à des propos discriminants ? La question n’est pas simple. D’un côté, l’action judiciaire peut avoir une vertu pédagogique. Elle signifie non seulement à la personnes condamnée, mais également au grand public, que tout propos ne peut être tenu impunément. Néanmoins, il faut aussi noter que le temps juridique et le temps médiatique sont extrêmement différents, et que le bénéfice potentiel d’une condamnation peut être perdu lorsqu’elle intervient plusieurs mois, si ce n’est années, après les faits.
De plus, selon le bien connu « effet Streisand« , la censure peut parfois augmenter la visibilité de certains propos. N’est-ce pas ainsi à force de vouloir faire taire tous les Dieudonné ou Zemmour que l’on fait, en réalité, le plus parler d’eux ? De la même manière, nous nous sommes posés la question de la place que l’on devait accorder aux discours du FN dans les débats. D’un côté il s’agit d’un parti républicain – même si l’on peut qualifier certaines de ses positions d’anti-républicaines – qui est à ce titre aussi légitime que les autres partis à accéder à une présence médiatique. Cependant, sur certains sujets, certain.es ont avancé qu’il paraissait contre-productif de leur fournir une tribune alors que leurs positions sont déjà bien connues et entendues par ailleurs.
Finalement, dans certains cas, plutôt que de chercher à faire disparaître les discours discriminants, il nous est apparu qu’il était possible de lutter en s’attachant plutôt à noyer lesdits discours sous d’autres plus positifs, inclusifs, et optimistes. Faire en sorte, par exemple, que l’on entende bien plus parler des initiatives positives des banlieues, ou de la communauté musulmane, permettra peut-être de renverser les stéréotypes associés à ces minorités.
Il est également possible de sortir du cercle vicieux de l’information pessimiste que l’on nous sert chaque jour en allant lire et soutenir les médias alternatifs qui proposent précisément une autre lecture de l’actualité.
Enfin, pour terminer, nous insisterons sur la nécessité de se donner une hygiène intellectuelle qui nous rendra à même de prendre du recul sur le discours raciste qui se diffuse aujourd’hui. Nous pensons ici à la saine habitude du fact-checking, que l’on aimerait d’ailleurs voir plus systématiquement mise en pratique face aux politiques, et qui permet facilement de désamorcer bon nombres d’assertions douteuses.