Procès du génocide de Tutsi en France : De l’utilité de la compétence pénale universelle
Malgré l’existence d’une Cour Pénale Internationale et d’un Tribunal International pour le Rwanda chargés de traduire en justice les présumés coupables de crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide et crimes d’agression), la volonté des Etats parties était de faire de ces institutions, des juridictions dans le seul cas où les autorités de l’Etat en question, ou de tout autre Etat, seraient défaillantes pour juger de tels crimes.
Le jugement de la Cour d’Assises de Paris a dès lors utilisé la possibilité qui lui est offerte de juger les auteurs de tels crimes qui seraient dans les mains des autorités françaises : c’est ce que l’on appelle la compétence pénale universelle. Cette compétence extraordinaire en droit pénal vise à pouvoir traduire les auteurs de crimes internationaux, quand bien même la justice pénale française s’interdit de se prononcer sur des crimes non commis par des français, ou non commis sur le territoire français, ou n’impliquant pas des français parmi les auteurs de l’acte criminel.
Après un procès long de deux mois, et qualifié d’historique par les parties, du fait de l’utilisation de cette fameuse compétence pénale universelle, deux anciens maires de localités rwandaises ont été condamnés par la justice française à la réclusion criminelle à perpétuité le mercredi 6 juillet 2016. Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA ont été reconnus coupable de participation au génocide des Tutsi dans le village de Kabarondo en avril 1994. La condamnation les reconnait coupables de « crimes contre l’humanité » et de « génocide » pour « une pratique massive et systématique d’exécutions sommaires », en application d’un « plan concerté tendant à la destruction » du groupe ethnique Tutsi.
C’est donc en reprenant les définitions de crimes internationaux établies dans la Convention de Rome portant création de la Cour Pénale Internationale que les juges français ont pu user de leurs pouvoirs judiciaires pour rendre un tel jugement. La prison à vie avait été requise par l’avocat général Philippe Courroye, les désignant comme des rouages essentiels des massacres commis dans leur localité. Les textes internationaux permettent de condamner pour génocide non seulement les seuls commettants mais également les « superviseurs » et les donneurs d’ordre. Notons que face à un exécutant qui donne pour ordre d’exécuter des actions manifestement illégales, l’exécutant a le pouvoir et l’obligation de refuser d’exécuter un tel ordre, c’est ce que l’on nomme en droit international, la théorie des « baïonnettes intelligentes ». Le manque de cohérence dans la défense des deux accusés aura eu raison de leur ligne de défense qui plaidait le « doute raisonnable » qui doit, en droit français, profiter à l’accusé.
Ce jugement intervient dans un contexte particulier dans le sens où le jour même, l’Assemblée Nationale française votait, dans le cadre du projet de loi « Egalité et citoyenneté », un amendement visant à pénaliser la négation des crimes contre l’humanité alors que cette pénalisation ne visait jusqu’à maintenant que les crimes de génocide, et plus particulièrement la Shoah alors que le loi Gayssot ne mentionnait pas cette interdiction pour d’autres génocides.
Après l’annonce de l’appel formulé par les jeunes condamnés, il est fort probable que les 250 heures de procès et les 30 tonnes de documents de procédure utilisés en première instance seront insuffisantes. Affaire à suivre…