L’écriture inclusive (ou « rédaction non discriminante ») : contre le sexisme et le classisme

Nous pourrions penser que ce ne sont que des mots, que des façons d’écrire ou de parler et que celles-ci n’ont pas d’impact au quotidien. Pourtant, la langue façonne nos façons de penser et donne un cadre à nos imaginaires. Loin d’être une façon d’écrire qui remonterait à des dizaines de siècles, le « masculin l’emportant sur le féminin » n’a que deux siècles. Avant cela, l’accord se faisait avec le nom le plus proche.

Le site Rebellyon a récemment écrit un article sur ce sujet, par rapport à une newsletter du site Grrrnd Zéro qui dénigrait l’écriture inclusive. C’est faire preuve d’une grande ignorance -ou d’un grand mépris de toute personne n’étant pas un homme- que de considérer que la féminisation de la langue ne serait qu’un caprice, qu’un attachement à une futilité linguistique. Il est aussi très facile, en tant qu’homme, de trouver ce sujet inutile. En tant que non concerné (du moins, à première vue) et habitué à détenir le pouvoir de décider des sujets importants ou non, nous pouvons imaginer qu’il lui est très difficile de comprendre le problème. Or, si on regarde du côté des femmes, nous nous apercevons que limiter la langue ainsi ne fait pas qu’invisibiliser leur genre, mais que ça a aussi des conséquences concrètes sur la confiance en soi. Étonnamment, ça en a aussi sur la confiance des hommes.

Une première étude1 a été faite dans différents collèges. Elle consistait à donner des listes de métiers à des collégien-nes : celleux-ci devaient dire s’ils et elles pensaient être capables de réaliser les études menant à chaque métier listé. Il y avait plusieurs types de listes :

  • La première était notée ainsi : « Chirurgien », « Mathématicien », « Informaticien »…
  • La deuxième ainsi : « Chirugien(ne) », « Mathématicien(ne) », « Informaticien(ne) »…
  • La troisième ainsi : « Chirurgien/Chirurgienne », « Mathématicien/Mathématicienne », « Informaticien/Informaticienne »…

Avec les deux dernières propositions, la confiance des élèves sur leurs capacités à réussir les études menant à ces métiers montait énormément, contrairement à l’écriture masculine seulement. Le plus surprenant étant que ça ne fait pas qu’augmenter la confiance des filles dans leurs capacités à réussir dans un métier dit « masculin », mais que ça augmente aussi du côté des garçons. Ainsi, cette écriture est finalement bénéfique pour tout le monde.

En second, un micro-trottoir réalisé par Egaligone à Bellecour en 2013 :

Celle-ci consiste à poser aux passant-e-s la devinette suivante : « Un père et son fils ont un grave accident de voiture, le père décède et le fils est à l’hôpital. Le chirurgien dit « je ne peux pas l’opérer c’est mon fils ! » Pourquoi ? ». Elle contient deux variantes, avec « la personne qui va l’opérer » et « le médecin ». Malgré ce changement de nom, dans la majorité des réponses, les passant-e-s ont du mal à imaginer que le « chirurgien » soit en fait une « chirurgienne ». Le fait que l’on parle toujours des « chirurgiens » donne l’impression que seuls des hommes peuvent exercer ce métier, quand les femmes ne seraient reléguées qu’à des rôles secondaires et plus bas dans la hiérarchie.

Nous voyons très bien ceci dans la réponse d’une dame vers la fin de la vidéo qui n’est pas d’accord sur l’existence de femmes chirurgiennes et pense que les hommes s’occupent des grosses opérations. Nous pourrions rire de ce sexisme intériorisé s’il n’avait pas des conséquences désastreuses sur la vie des femmes, leurs salaires et leurs perspectives professionnelles. Les chirurgiennes, en 2015 et 2017, ont protesté sur Twitter contre les préjugés et le sexisme dont elles sont victimes avec le hashtag #IlookLikeASurgeon.

Le site Ecriture Inclusive permet d’apprendre à utiliser cette écriture non discriminante.

De nombreuses personnes, opposées à l’écriture inclusive, citent « L’Académie Française ». Nous allons donc revenir sur ce point : d’où vient l’académie française et qui a érigé cette norme ?

C’est au XVIIème siècle que l’Etat français est intervenu, à l’aide de l’Académie Française, pour masculiniser la langue française. En 1635, le cardinal de Richelieu crée l’Académie Française afin de standardiser la langue française, qu’il ne soit plus possible d’écrire comme chacun le voulait.

Or, d’une part, les académiciens de l’époque n’étaient, en majorité, pas des grammairiens. Leur nomination à l’académie était, la plupart du temps, une forme de remerciement de la part de Richelieu. Il nomma d’ailleurs son neveu de 16 ans à cette académie. Ensuite, cette volonté s’est accompagnée d’une masculinisation de la langue, en invisibilisant le féminin. La règle érigée par l’Académie du « masculin qui l’emporte sur le féminin » se transmet oralement depuis la fin du XIXème siècle alors qu’on ne le trouve plus dans les manuels scolaires depuis 1879. Avant, on accordait avec la règle de proximité, c’est-à-dire avec le nom le plus proche :

  • « Que les hommes et les femmes soient belles ! »
  • « Le couteau et la fourchette sont posées sur la table »
  • « Toutes sortaient les couteaux et les dagues qu’elles avaient affûtées. »
  • « Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête » (Racine).

Si, aujourd’hui, ceci peut nous paraître étrange, à l’époque, c’était l’accord au masculin qui était bizarre ! Ce n’est ainsi qu’une question d’habitude :

« Mais l’oreille a de la peine à s’y accommoder, parce qu’elle n’a pas l’habitude de l’entendre de cette façon. Et rien ne plait à l’oreille, en matière de phrase et de façon de parler, que ce à quoi elle est accoutumée.

Je voudrais dire ouvertes, ce qui est beaucoup plus doux, d’abord parce que cet adjectif se trouve accordé avec le substantif qui est le plus proche, et aussi parce qu’habituellement c’est ainsi que l’on parle. C’est là une cause décisive : l’oreille y est habituée. Or, qu’il soit vrai que l’on parle ainsi habituellement à la Cour, je l’assure pour l’avoir souvent remarqué, et pour l’avoir fait dire à tous ceux à qui je l’ai demandé (ce qui est une bonne méthode à laquelle il faut recourir quand on veut savoir de manière certaine si une chose se dit ou ne se dit pas) ».

Dans Grammaire générale (1767), Beauzée écrivit :

« Si un adjectif se rapport à plusieurs noms […] de différents genres, il se met au pluriel, et il s’accorde en genre avec celui des noms qui est du genre le plus noble. Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ».

« Le masculin étant réputé plus noble que le féminin », comme le disait Malherbes, plus un métier est prestigieux et haut placé dans l’échelle hiérarchique, plus celui-ci sera dépourvu de corollaire au féminin. Ainsi, selon l’Académie Française, nous devrions dire « Madame Le Député » ou « Madame Le Président ». Le féminin est connoté négativement. C’est ici que nous pouvons voir une intersection entre classisme et sexisme : le masculin sert aussi à montrer quelles professions sont dignes et lesquelles ne le sont pas, ou du moins, seulement pour le « bas peuple ».

Il n’y a plus de doutes quand au sexisme des académiciens de l’époque. Cependant, en allant plus loin, on se rend compte que même des académiciens actuels le sont ouvertement. Bien que les statuts de l’académie n’empêchent pas aux femmes d’y accéder, l’entrée de Marguerite Yourcenar au sein de celle-ci a provoqué de vives réactions. Première femme de l’académie française, elle est élue pour devenir membre de l’académie en 1981. Un académicien avait contesté sa candidature en disant que « Si on élisait une femme [à l’Académie], on finirait aussi par élire un nègre. ». Cette remarque aura, au moins, eu le mérite de montrer à quel point les différentes oppressions sont mêlées, comment le sexisme s’accompagne de racisme et pourquoi nos luttes doivent être intersectionnelles ou convergentes. Cela peut nous paraître incroyable qu’en 1981, soit une date aussi proche de nous, on ait pu contester la candidature d’une femme parce que… c’est une femme. C’est d’autant plus étonnant quand, à côté de ça, les femmes sont en majorité orientées dans des études littéraires.

Source : https://rebellyon.info/Pourquoi-feminiser-notre-langage-est-17819

1. Chatard A., Guimond S. et Martinot D. (2005), « Impact de la féminisation lexicale des professions sur l’auto-efficacité des élèves : une remise en cause de l’universalisme masculin ? », L’année psychologique, vol. 105, N°2, pp. 249-272.