La discrimination, tu peux pas test ?

Aujourd’hui, on vous parle du testing.

Déjà, qu’est ce que c’est ? Gwénaële Calvès (Professeure de droit à l’Université de Cergy-Pontoise et directrice scientifique du Centre d’analyse stratégique) en propose une définition précise et documentée accompagnée d’une analyse sur les vertus et les limites de ce processus. On reprend ici dans les grandes lignes son propos :

Outil de la lutte contre les discriminations, le testing ou « test de situation » permet de mettre en avant les situations où se mettent en place des différences de traitement sur fondement d’un critère interdit par la loi. En effet, concrètement, ce genre de situation est compliqué à établir sur le plan légal. Comment est-il possible de se placer dans l’hypothèse d’un cas où on considère toutes choses égales par ailleurs, sauf une ? C’est ici qu’intervient la méthode du testing qui, s’inspirant de la démarche expérimentale, cherche à récréer une situation dans laquelle on construit artificiellement des couples qui ne diffèrent que par une seule caractéristique.

Il s’agit par exemple d’envoyer des CV identiques en changeant uniquement le nom pour isoler un facteur de discrimination par l’origine ethnique supposée de la personne.

Cette méthode est née en Grande-Bretagne et aux États-Unis dans les années 1970, notamment pour étudier les dynamiques du marché du travail et des services. En France il faut attendre les années 2000 pour voir émerger ces outils d’analyse dans la sphère académique. C’est alors le domaine des sciences sociales qui s’en saisit comme instrument de mesure, comme manière de produire une photographie de l’instant T d’une société quant à ses dynamiques de discrimination. Cela a conduit les spécialistes à s’interroger notamment sur la méthode et la légitimité de cet outil. En effet, le testing s’inspire de l’expérimentation de laboratoire mais n’en est pas une. Les deux membres du couple fabriqué pour l’occasion (par exemple deux femmes – l’une voilée, l’autre non -) ne sont jamais exactement identiques. Il est concrètement impossible de construire des candidatures qui ne diffèrent que par un point, et donc d’évacuer le risque d’un biais de personnalité, par exemple. Le testing s’applique, non derrière la vitre d’un laboratoire dans lequel tous les facteurs peuvent être maîtrisés, mais dans la vie « réelle », et se rapporte à des relations humaines. Difficile d’établir donc avec certitude ce qui influe effectivement sur la situation étudiée. Le problème est encore plus aigu quand la situation ne peut être testée directement : c’est ainsi le cas dans l’exemple des CV cherchant à déterminer l’existence ou non d’une discrimination de nature ethnique ou raciale. Dans ce cas, on utilise un indicateur indirect, ici, le nom, ce qui risque de relativiser encore la pertinence des résultats.  Pascale Petit, dans son article « Comment évaluer la discrimination à l’embauche » (2003), tempère donc la validité des modalités de testing,en insistant sur les nombreuses précautions méthodologiques nécessaires chaque fois :

La méthodologie d’audit par couples consiste à réaliser une expérience naturelle ciblée et contrôlée sur le marché du travail qui vise à mettre en évidence un accès à l’emploi différencié selon les sous-groupes de la population active, dans différentes activités. […] Sa mise en œuvre nécessite toutefois une grande rigueur, quant au mode de tirage de l’échantillon des firmes auditées, au respect d’une similarité des candidats et des conditions auxquelles ils sont confrontés. En outre, l’interprétation des résultats auxquels aboutit l’étude nécessite une certaine prudence.

Cependant, elle admet que s’il est important d’affiner l’approche méthodologique (notamment lorsqu’il s’agit d’études sociologiques ayant vocation à produire un état des lieux généralisable au sujet de la discrimination) afin de renforcer la légitimité des résultats, les testings sont néanmoins importants dans la mesure où ils représentent un des rares outils heuristiques dans un domaine qui en manque, sinon, cruellement :

Il [l’audit par couple] permet indéniablement de pallier un vide méthodologique dans le domaine de la discrimination à l’embauche.

Autrement dit, le testing n’est pas parfait, mais il représente au moins un moyen de pointer des situations de discrimination probable, et est, en ce sens, précieux, même si cela n’empêche pas de réfléchir à ses modalités de mise en œuvre. Le testing, historiquement, avant d’être un outil judiciaire, fut un outil de connaissance. Et ce furent d’abord des associations – notamment SOS Racisme – qui eurent pour ambition de faire le pont entre ces deux aspects en en faisant un outil militant. Via un certain nombre de campagnes (« Les testeurs de la République »), il a été possible de mobiliser l’opinion publique et de rendre visible sur la scène médiatique le problème des discriminations. Pour SOS Racisme, tous les testings n’ont pas forcément vocation à passer devant un tribunal mais déjà à sensibiliser l’audience.

Cependant, la première victoire législative fut lors du testing de la boîte de nuit Le Pym’s en 1999 à Tours, qui donna lieu à l’arrêt de la cour de cassation de 2002. L’année 2006 fut celle de la consécration dans la loi de cette méthode (cf. Article 225-3-1 du Code Pénal par la loi sur l’égalité des chances de 2006). Mais cette loi a été ensuite affaiblie par la circulaire Clément qui a eu pour but de définir et, partant, de limiter la notion de « vraie victime » en obligeant à mentionner les vraies études et le vrai parcours des personnes dans le cadre de testings (empêchant ainsi de recourir à des commédien.nes) :

Parce qu’il traite des éléments constitutifs du délit, cet article ne permet pas qu’une condamnation soit prononcée à la suite d’une opération au cours de laquelle la ou les personnes qui se sont vues opposer un refus auraient menti sur leur identité ou leur qualité, ou seraient purement fictives (par exemple si est adressé un faux CV, concernant une personne imaginaire et/ou avec un cursus et des diplômes inexacts). Dans de tels cas en effet, il n’y a pas de délit, puisque le refus a été opposé à une personne qui n’existe pas, ou qui n’est pas vraiment victime.
Le texte n’autorise dès lors pas que, dans une finalité répressive, soient adressées des demandes fictives ou inexactes qui permettraient de condamner des personnes alors que celles-ci n’auraient en réalité discriminé aucune victime individuellement identifiée.

Cela rend beaucoup plus compliqué l’isolation du véritable critère de discrimination, et ralentit, entrave toute démarche de testing. Mais, plus encore, comme l’explique Guillaume Ayné, directeur de SOS Racisme, lors d’un colloque sur le testing, la vraie difficulté réside moins dans les problèmes de méthodologie et de législation – qui peuvent être affrontés, corrigés – que dans l’absence d’une réelle volonté politique de lutte contre les discrimination. Et c’est cette absence de volonté qui représente le plus grand frein à toutes les démarches judiciaires :

De la moins élevée à la plus élevée des administrations policières, les policiers qui ont normalement à charge d’enquêter sur l’ensemble des délits pénaux nous répondent que les discriminations relèvent du domaine de l’Inspection du travail, sélectionnant par là même les articles du Code pénal qu’ils appliquent et ceux qu’ils n’appliquent pas. Or, quand il y a des victimes, il est du ressort de la police et des parquets d’aller collecter les informations. Il s’avère quasiment impossible d’obtenir des enquêtes de l’Inspection du travail pour aller faire des saisies de fichiers. Excepté dans deux départements, aucune autorité policière n’accepte de venir enquêter et la réponse est systématiquement la même : « Vous êtes bons, allez chercher vous-mêmes les preuves » !

La situation est pourtant encore loin d’être réglée, en témoignent les récentes actualités sur le sujet. Un article de libération présente les résultats atterrants du deuxième rapport du groupe de dialogue chargé de réfléchir à des méthodes de recrutement non-discriminantes :

Au total, 43 entreprises de plus de 1000 salariés ont été testées, selon la ministre du Travail. Et les premiers résultats, comme on pouvait s’en douter, ne sont pas glorieux. «S’il y a de bons élèves, le constat est souvent accablant», explique Myriam El Khomri sur Twitter. Et d’ajouter : «Les hommes et femmes supposé[e]s maghrébin[e]s sont écartés d’une grande majorité des procédures de sélection.» Preuve que les discriminations, qui constituent «une faute morale», mais aussi «une aberration économique», avec un manque à gagner de 150 milliards d’euros sur 15 ans, précise-t-elle, perdurent.

 

Pourtant, malgré ce constat avéré, il ne semble pas que les pouvoirs en place soient favorables à la mise en place de réelles sanctions, preuve s’il en faut que la discrimination n’est pas encore considérée comme un problème assez grave pour entamer des démarches de condamnation effectives :

Reste à savoir si ce testing permettra d’améliorer la situation et de faire reculer les discriminations liées à l’embauche et à l’emploi en France. Sur ce point, les avis divergent. Au cœur du débat : la question du «name and shame», soit le fait de dévoiler le nom des entreprises non vertueuses. Pour certains, c’est la seule solution pour faire évoluer les pratiques. Sauf que cette option n’a pas été retenue par la ministre. Or, sans le «name and shame», ce testing «va permettre un dialogue, mais restera limité. […] La seule chose que cela va faire, c’est confirmer ce que l’on sait déjà», expliquait à Libération, en février, le sociologue Jean-François Amadieu.

On vous laisse regarder ce qu’en dit Samuel Thomas, délégué général de la Fédération nationale des Maisons des Potes, qui présente bien les enjeux de la question, et les combats qu’il nous reste à mener :

Pour aller plus loin :
Les tests de discrimination : pratiques et perspectives – Colloque de la Halde du 11 décembre 2009.

http://www.discriminations-egalite-champagneardenne.fr/IMG/pdf/testing.pdf

http://www.cee-recherche.fr/fr/connaissance_emploi/68-apport-testing-mesure-discriminations.pdf