KING KONG THÉORIE, ou l’attaque du patriarcat à sa racine.

Le viol n’a rien d’extraordinaire, il est au cœur de nos sexualités. Pour l’écrivaine Virginie Despentes, c’est « Damoclès entre les cuisses », un risque inévitable pour les femmes. Il rassemble toutes les classes et strates de la société autour de l’exclusion du corps des femmes ; une marque au fer d’infériorité. A la suite de son viol, l’autrice tente de se tourner vers la littérature. Elle n’y trouve rien pour la guider, pour l’accompagner : « C’est extraordinaire [écrit-elle] qu’entres femmes on ne dise rien aux jeunes filles, pas le moindre passage de savoir, de consignes de survie, de conseils pratiques simples. Rien. ». Avec des livres comme Baise-moi, Apocalypse Bébé ou King Kong Théorie, Despentes expose le tabou.
Parce que bien souvent les coupables ne se reconnaissent pas en violeurs, parce que certains agents de police mesurent la longueur d’une jupe avant d’accepter de prendre ou non une plainte, parce que la pornographie mainstream peut alimenter le fantasme de l’acte sexuel violent d’une femme « qui a dit non mais qui le voulait quand même » et qu’enfin, la société nous désigne comme victime sans jamais nous apprendre à nous défendre ; les femmes sont réduites à être le « sexe de la peur, de l’humiliation ».

Despentes a lancé une plaidoirie furieuse contre l’économie patriarcale du viol et ce traumatisme dont les femmes ne sont pas censées se remettre. C’est une question sociétale qui interroge la justice : « Si nous pensons que le viol est important et si nous apprenions vraiment que nous sommes en droit de tuer un homme s’il veut abuser de nous, je pense que ça changerait tout. Mais pensons-nous vraiment que le viol est assez important pour qu’une femme ait le droit de tuer un homme ? ». L’acte de légitime défense est défini dans la loi par l’article 122-5 du Code pénal et s’imbrique dans l’exigence de proportionnalité. Concrètement, trois critères sont à remplir :
– On ne peut se défendre que contre une atteinte/agression injustifiée.
– On ne peut réagir que contre une attaque immédiate et non passée.
– Et l’acte de défense doit être « proportionnel » à l’agression, strictement nécessaire (la victime n’a pas le moyen de s’enfuir).
C’est sur ce dernier point que subsiste le vide juridique : la soudaineté de l’attaque, la peur de la personne agressée, sont autant de facteurs qui peuvent rendre impossible un calcul proportionné de sa défense et qui ne sont pas nécessairement pris en compte lors du jugement. C’est en effet au bon vouloir du juge d’apprécier si la légitime défense employée par la victime est proportionnée ou non par rapport à l’agression subie. Aujourd’hui, tuer involontairement un homme qui tente de vous violer peut vous amener à passer de victime à auteure avec pour peine, l’incarcération.

D’autant plus que faire usage de la légitime défense semble avant tout une histoire d’hommes : en regardant sur le web, on se rend vite compte que la majorité des cas judiciaires stipulant un cas de légitime défense concerne des procès opposant un homme agresseur et un homme agressé.
Sur ces dernières années, le cas de Jacqueline Sauvage fait exception. Sans pour autant que les multiples procès lui fassent justice : elle a tué son mari de trois coups de fusil dans le dos, après avoir subi pendant des années des violences et abus sexuels et a finalement été condamnée à dix ans d’emprisonnement jusqu’à que l’ancien président, François Hollande, ne lui accorde la grâce présidentielle totale.

En 2016, le Ministère de l’Intérieur a estimé à 85 000 le nombre de femmes victimes de viols et tentatives de viols et à 8 000 (soit environ 10%) le nombre de plaintes enregistrées par la police (ne sont donc pas comptabilisées les plaintes refusées).
A la fin, moins de 2 000 des violeurs accusés en justice sont condamnés à une peine de prison.
Alors que de plus en plus de femmes dénoncent des viols et tentatives de viol, la justice condamne, quant à elle, de moins en moins les agresseurs.
Nous sommes aujourd’hui prises et pris dans la sphère de la culture du viol : un environnement social et médiatique dans lequel les violences sexuelles sont souvent excusées, justifiées, banalisées voire acceptées. C’est faire peser sur la victime la responsabilité du crime.
N’est-il pas temps de réinterroger la loi et de lui faire violence ?

On pourrait espérer que le changement social viendrait des hommes : que les institutions comme l’école, la famille, le gouvernement, la justice, leur enseigneraient et apprendraient les notions de respect d’autrui et de consentement.
Mais en attendant cette grande révolution masculine, les femmes doivent continuer de sortir dans la rue, à toutes heures, d’entretenir des rapports sociaux avec les hommes, de travailler avec eux, de vivre tout simplement – d’où l’importance de préserver des espaces en non-mixité.
C’est par un travail collectif entre des associations de femmes concernées et engagées contre cette culture du viol et les législatrices et législateurs, que la loi et l’exigence de proportionnalité doivent être entièrement redéfinies et repensées. Alors peut-être que nous nous sentirions plus légitimes de nous défendre et de protéger ce qui est nôtre : notre corps et notre autonomie.

Ecoutez sur France Culture et en intégralité la pièce de théâtre King Kong Théorie de Virginie Despentes du Théâtre de l’Atelier