« Bienvenue favorisés » VS « Au-revoir précaires et descendants de colonisés » : Frais d’inscription pour les étudiant.e.s extra-européen.ne.s

Mardi 18 décembre a eu lieu la journée internationale des migrant.e.s. L’occasion de dénoncer la mesure discriminatoire du gouvernement quant à l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant-es extra-européen.ne.s dans les Universités françaises publiques.

En effet, le gouvernement a annoncé le 19 novembre dernier le programme « Bienvenue en France » mis en place à la rentrée prochaine et qui, en signe de « bienvenue », va multiplier par 16 les frais d’inscriptions pour les étudiant.e.s extra-européen.ne.s, passant de 170 à 2 770 euros en licence (soit 8310 euros sur 3 ans) et 3 770 euros l’année pour un master ou un doctorat, contre 243 euros et 380 euros respectivement.

L’argument du Premier Ministre est alors le suivant : « absurde » et « injuste » qu’un étudiant extra-européen « fortuné paie les mêmes droits d’inscription qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et paient des impôts en France depuis des années. ».

Contrairement à ce qu’il affirme, les étudiant.e.s extra-européen.ne.s ne sont pas tous des « fortuné.e.s ».  La majorité d’étudiant.e.s étranger.e.s de l’année universitaire 2016/2017 provenaient effectivement du Maghreb, avec une part de près de 25 %.

Comment venir étudier en France désormais pour ces étudiants-là, quand on sait qu’au Maroc par exemple, le salaire moyen Brut est de 466 euros contre 2912 euros en France ? Soit une différence d’environ 80 %.

Cette mesure va créer des discriminations de toutes parts aux effets boules de neige, tout d’abord par un tri des populations provenant ou non de pays dits « développés » et ceux dits « en voie de développement », ancien.e.s descendant.e.s de colonisateurs et ceux/celles de colonisé.e.s, étudiant.e.s européen.ne.s/Amérique du Nord  et extra-européen.ne.s/Amérique latine, ayant ou non Le Pouvoir économique d’avoir accès à un service public et d’y perdurer. Mais aussi, entre populations provenant de pays en accords avantageux avec la France et ceux qui n’ont en pas, etc.

Et pour finir, ce sera la question de l’égalité femmes/hommes qui se jouera une énième fois. Car, qui détient la « légitimité » majoritaire de partir pour effectuer des études aux frais exorbitants quand le capital économique détenu par une famille se voit limiter ?

Depuis la semaine dernière, des étudiant.e.s de quelques Universités se sont mobilisé.e.s contre cette réforme avec l’appui de plusieurs syndicats étudiants. Dans un communiqué publié la semaine dernière, la Conférence des Présidents d’Université en France (CPU)  « demande que l’entrée en vigueur des dispositions en cause soit suspendue  ».


Dans ce contexte, Agir pour l’égalité a tenu à donner la parole aux personnes directement concernées par une mesure qui constitue un risque sans précédent de rupture d’égalités d’accès pour les étranger.e.s extra-européen.ne.s. Pour ce, nous avons rencontré Sara, étudiante colombienne en deuxième année de Psychologie à l’université Lyon 2, qui a eu l’honnêteté de nous faire part de son vécu et son point de vue sur cette question plus que sensible.

 

Agir pour l’égalité. Depuis quand est-ce que tu étudies en France ?

Sara. J’ai commencé mes études en Colombie il y a longtemps, mais je ne pouvais pas les payer car en Colombie je devais payer à peu près 700 euros par semestre, donc c’était pas du tout possible. J’ai commencé à étudier un peu le français en autonomie et je suis en France depuis septembre 2017 pour faire ma première année de Psychologie.

 

Jusqu’à présent, quelles étaient les démarches que les étudiant.e.s extra-européen.nes devaient effectuer pour étudier en France ?

Nous on ne passe pas le bac, ce n’est pas exactement la même chose, on passe un autre type d’examen final. En fait, quand tu sors du lycée, tu dois valider cet examen auprès de la France, et tu dois prouver que tu as un niveau de français suffisant pour rentrer à l’Université. Donc déjà, pour présenter l’examen, ils peuvent t’exiger d’avoir quelques heures de cours de langue française. Puis après tu vas devoir payer l’examen ; c’est environ 100 euros. Et si tu as le niveau, tu continues les démarches. Tu vas préparer un dossier auprès du Campus France, c’est une plateforme comme Parcoursup pour les étudiants étrangers. Tu vas faire un dossier, ils vont te dire qu’ils ont besoin de quelques documents de la Colombie : des relevés de notes du lycée, une lettre de motivation…. Donc, tu payes les frais de dossier à Campus France et eux, ils envoient ton dossier et le présentent aux Universités, pour que tu puisses t’inscrire dans une formation. La première démarche c’est donc le dossier.

Après tu vas payer les entretiens que tu dois faire avec eux. Et enfin, tu dois faire tous les documents concernant ton visa. Une fois que tu les as, tu vas faire tous les processus légaux pour que ces documents soient traduits en français et approuvés. Dans mon cas, c’était de l’espagnol au français, et ça, ça coûte un petit peu d’argent. Ils doivent être certifiés par le gouvernement français et traduit par une personne en France. Entre l’argent pour le visa, les démarches administratives, les documents, etc. : C’est environ 400 euros de dépense. Il faut aussi payer le billet d’avion, et c’est vraiment cher. Dans mon cas, ça m’a coûté 1200 euros le billet pour venir en France (ndlr : le salaire Brut en Colombie est d’environ 461 euros).

On prend beaucoup de temps pour faire ces démarches, ça prend à peu près entre 5 et 6 mois pour tout préparer et enfin pouvoir rentrer à l’Université : les dossiers, les entretiens, etc.

 

Peuvent-ils bénéficier d’aides de l’Etat en France ?

Concernant les bourses, c’est compliqué. Le gouvernement français ne va pas donner de bourses hors de l’Union Européenne, et moi, je ne fais pas partie de l’union européenne. Campus France va donner des bourses, mais celles des pays d’origines. Donc je dois demander une bourse auprès de mon pays. En Colombie bien sûr qu’il y a des bourses mais elles sont difficiles d’accès, il n’y a que des étudiants avec des notes incroyables qui peuvent y accéder. Et en théorie, la majorité des bourses vont être pour des personnes moins privilégiées, mais en Colombie cette catégorie est un peu diffuse, elle n’a pas de sens. Une personne qui a étudié toute sa vie dans un quartier difficile va être moins privilégiée selon eux, mais si tu as les sous pour payer un « bon quartier », tu ne vas pas être pris en compte. Il y a donc un « classisme » dès le départ pour avoir les bourses. C’est compliqué, il y a beaucoup de démarches et ça prend beaucoup de temps, avec la possibilité de ne pas l’avoir car on est de nombreux étudiant.e.s à la demander et très peu à l’avoir. Auprès de l’Etat français, on a les APL et ça s’arrête là. On n’a pas le droit à une aide du Crous ou une autre aide en tant que étudiant étranger hors Union Européenne.

 

Que penses-tu de la récente mesure du gouvernement qui vise à augmenter les frais d’inscriptions pour les étudiant.e.s extra-européen.nes ?

C’est absolument injuste, c’est juste pour les étudiants hors de l’UE, c’est une mesure absolument « classiste » et raciste. On comprend que les Universités doivent augmenter un peu les frais, mais passer de 170 euros pour une licence à 2770 euros, ce n’est pas logique. L’Université était censée être un droit pour tout le monde, pas un privilège comme ils veulent la transformer. Selon le gouvernement, c’est une mesure d’attractivité, mais d’attractivité pour qui ? Pour les étudiants qui viennent des Etats-Unis qui pensent que tu es mieux éduquée quand tu payes beaucoup. Pour eux, l’Université presque gratuite n’est pas égale à une éducation de qualité. Le raisonnement du gouvernement n’a pas de principes car ce n’est pas aux étudiant.e.s étranger.e.s de remplir le déficit qu’il y a dans les Universités Publiques. Ce n’est pas du tout logique que 320 000 étudiant.e.s inscrit.e.s dans les Universités Publiques remplissent le déficit que l’Université a depuis 20/30 années. C’est à tous de le faire et surtout à l’Etat. Ce n’est pas aux étudiant.e.s. Ce qui ne marche pas dans les Universités, ce n’est pas aux étudiant.e.s de le prendre en charge, c’est à l’Etat de le prendre en charge.

En plus de ça, la mesure va fermer la porte à la majorité des étudiant.e.s qui viennent d’Afrique ou d’Amérique Latine par exemple. Déjà, ils doivent venir travailler, et on a des limites pour travailler, il y a une limite de 20 semaines par an, et si tu travailles 20 semaines par an, tu gagnes un salaire d’environ 500/600 euros. Tu dois vivre tous les jours. Et comment tu peux mettre de l’argent de côté ? Comment tu vas payer tout ça ? Ils vont fermer la porte aux personnes qui viennent d’Amérique Latine, qui ont peu de ressources et ils vont ouvrir la porte à une élite qui va pouvoir étudier en France car elle va pouvoir payer.

 

Penses-tu que cette réforme va discriminer davantage les femmes ?

Je pense que beaucoup de femmes vont être affectées par cette mesure. Déjà, en tant que femme, je pressants comment cela peut nous affecter. Par exemple dans mon cas, je viens d’un pays particulièrement violent pour les femmes. C’est une violence qu’on vit tous les jours et c’est très compliqué pour nous d’avoir accès à certaines formations.

Il y a des filières où ils n’acceptent que des hommes car selon eux, ce sont des filières pour les hommes. Et quand tu pars de Colombie, tu peux te rendre compte de ça ; qu’il n’y a pas de filières pour « personne spécifique ».

Ce n’est pas du tout logique que tu trouves une filière pour un homme ou une filière pour une femme. Donc, ça va affecter plus de femmes car c’est compliqué pour elles : quand elles viennent de pays qui n’ont pas forcément la même perception des femmes, un peu « en arrière » par rapport à la pensée des femmes et à leurs droits.

 

Que penses-tu du système de bourse qu’ils veulent mettre en place ?

Ce n’est pas logique qu’ils nous disent que pour 320 00 étudiants, il va y avoir 15 000 bourses, et 8 000 exonérations. Donc 320 000 étudiants vont devoir accepter qu’il y ait juste 15 000 personnes, dans toute la France, qui vont avoir la possibilité d’avoir la bourse, et 8 000 personnes dans toute la France qui vont avoir la possibilité d’avoir les exonérations ? Et ça pose problème, car il n’y a pas de critère pour l’instant. Le principal problème de tout ça, c’est qu’il y a eu un communiqué de presse et un tweet. C’est un tweet qui nous a appris que cette réforme allait être mise en place. Donc déjà c’est ridicule d’annoncer une mesure de ce poids par twitter. Puis, ils ont envoyé un dossier Campus France pour répondre à quelques questions où ils ont délaissé des questions importantes comme par exemple la question des lycées français. Il y a effectivement des personnes dans des lycées français provenant de n’importe quels pays qui vont être pleinement éduqués dans un modèle français. Ils vont passer le bac, etc. Il y a donc des personnes de Colombie inscrites dans des lycées français qui nous disent « comment je vais payer ça ? ». En Colombie, le lycée français est une école privée. Mais après ça, ils vont devoir passer le bac, et ils vont vouloir entrer dans une Université française car c’est le but des lycées français : envoyer des étudiants de n’importe quel pays en France pour continuer cet apprentissage. Alors comment les étudiant.e.s vont y accéder maintenant que les frais vont augmenter ? C’est un truc que le gouvernement n’a pas laissé au clair. On attend que le gouvernement se prononce car on n’a pas du tout d’informations concrètes sur cette question. On désire donc un communiqué officiel du gouvernement qui nous explique comment ça va être appliqué, quels sont les critères, les cas particuliers d’exonération, les cas de bourses, etc.

 

Est-ce que les étudiant.e.s qui ont déjà commencé leurs études en France seront concerné.e.s par cette mesure ?

Pour les personnes qui sont déjà en France, c’est le changement de cycle qui va jouer. Par exemple, une personne en licence 3 qui veut passer en master va devoir payer les nouveaux frais d’inscription. Si une personne de master 2 veut passer en doctorat, elle va devoir payer les nouveaux frais d’inscription. Ça va affecter surtout les personnes qui viennent d’autres pays pour étudier le français, et ça arrive, des personnes ont déjà dit :

« moi j’étudie le français depuis 2 ans, je paye des cours en France pour étudier, et maintenant je ne peux plus accéder aux Universités car ça a augmenté pour moi ».

 

Quelles sont les mobilisations actuelles ?

On a essayé de prendre part aux mobilisations étudiantes. On a essayé de manifester, de faire des rassemblements. On a eu des problèmes par rapport à ça, car la Présidente a fermé l’Université à chaque fois qu’on voulait faire un rassemblement. Le plus important pour nous, c’est qu’elle prenne une décision publique, quelque chose qu’elle n’a pas encore fait. Ce n’est pas une chaîne de mail où elle dit « moralement je suis avec vous » qui va le justifier, comme les Universités qui ont vraiment pris une position et qui ont dit qu’ils ne mettraient pas ça en place pour la rentrée 2019. Si la Présidente de l’Université de Lyon 2 ne veut pas appliquer cette réforme, elle doit le dire publiquement, que tout le monde sache ce qui va passer en 2019.

Par rapport aux mobilisations, il y avait mardi soir la mobilisation pour la journée des migrants. C’est super important, car il y a beaucoup de personnes qui nous considèrent comme des migrants. Au fond, je pense qu’on est tous immigrants. Je crois pas du tout qu’on doit juste rester dans le truc de « c’est ma nationalité » ou « c’est l’Union Européenne », ou « c’est -« Europe »- », ou « c’est –« Amérique latine »- », ou c’est « n’importe quoi ». On a la manifestation de lycéens et lycéennes aujourd’hui. Les lycéens ont bloqué et parlé en notre Nom ces dernières 3 semaines. On sait que pendant les examens c’est difficile de mobiliser les gens, mais on veut qu’ils prennent conscience. On peut se mobiliser à Lyon 2. Même Lyon 1, Lyon 3 et l’Université Catholique, qui est privée, doivent être au courant des mesures.

Il y a des personnes qui disent « ça ne me concerne pas » mais ça les concerne. Nous, on est juste le début. Si ça va augmenter en ce moment pour les étudiant.e.s étranger.e.s, qu’est ce qui va empêcher le gouvernement de dire « ça va augmenter aussi pour les français, pour tout le monde » ?

Donc on doit se mobiliser, faire prendre conscience aux gens que tout le monde soit au courant de la mesure, que tout le monde soit au courant qu’il y a des « trucs » qui ne vont pas dans la mesure.

 

Propos recueillis par Juliane B. et Raph G.